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Gilbert Gosseyn ouvrit les yeux dans des ténèbres absolues.

« Tiens, tiens, tiens… » pensa-t-il. Il eut tout de suite l’impression que ce n’était pas là qu’il aurait dû être.

Dès les premières secondes, il prit conscience de plusieurs éléments : il était allongé sur quelque chose d’aussi confortable qu’un lit ; nu, mais le corps recouvert d’un… drap ?… en tissu très léger. Il éprouvait des sensations ponctuelles sur le tronc, les bras et les jambes, comme si à ces endroits-là avait été fixé un appareil à succion.

Ce fut cette impression globale d’être attaché à quelque instrument qui l’empêcha de céder à l’impulsion de s’asseoir.

Le moment était venu de se livrer à ce mode particulier de pensée que seul quelqu’un ayant subi son entraînement pouvait pratiquer.

« Voyons, je dois être… J’ai trouvé ! C’est une situation de vie typique, relativement à la réalité fondamentale. »

Un être humain, c’est un corps et une tête plongés dans… personne ne savait exactement quoi. Il ne faisait aucun doute qu’on n’avait jamais découvert en quoi consistait exactement ce milieu.

Cinq principaux systèmes de perception enregistrent les stimuli en provenance de l’environnement ; et au moins trois de ces sens lui avaient fourni quelques minuscules bribes d’information. Mais même cela s’appuyait sur une connaissance mémorisée dans son cerveau. Il n’appréhendait les choses qu’à partir d’un endoctrinement antérieur.

Fondamentalement, le moi est toujours plongé dans les ténèbres. Les messages lui parviennent essentiellement par l’intermédiaire de la vue, de l’ouïe et du toucher qui, comme les antennes de la télévision ou de la radio, sont programmés pour enregistrer des longueurs d’ondes spécifiques.

Sa situation présente était une représentation étonnante de ce concept de base de la Sémantique générale.

Ce qui le déconcertait le plus, c’était de n’avoir aucun souvenir de s’être mis au lit la veille au soir dans un environnement physique semblable à celui-là. Mais puisqu’il ne se sentait pas en danger, cette absence de souvenir ne le troublait pas. Pourtant… quel fantastique parallèle s’établissait là !

« En tant que moi, je suis plongé, pensa Gosseyn, dans de véritables ténèbres absolues. » Les phénomènes perceptifs avaient commencé presque immédiatement. Mais ils ne lui avaient encore rien apporté qui révélât une relation avec l’univers, avec une réalité… quelle qu’elle soit, extérieure à lui.

C’était une conscience réflexive typiquement humaine. Et, parallèlement à ces pensées, un autre processus de raisonnement se poursuivait dans son esprit, soulignant de nouveau combien cette situation ne correspondait en rien à ce qu’éprouvait normalement au réveil un être intelligent.

Ce soupçon qu’il avait, que quelque chose ne tournait pas rond, n’éveilla pas seulement sa curiosité, mais aussi le besoin intellectuel de savoir.

Gosseyn leva les bras avec précaution, à cause des appareils qu’il sentait fixés à son corps. Tout d’abord, il repoussa le tissu léger afin de dégager son torse. Il s’agissait bien d’un drap non bordé, ainsi qu’il l’avait déjà supposé. Il le repoussa aisément, et en quelques secondes ses mains et ses bras se retrouvèrent libres pour effectuer l’action suivante.

Il tâta prudemment sa couche. Et tout de suite entra en contact avec des tuyaux en caoutchouc. Des douzaines de tuyaux. Auxquels étaient attachés les appareils à succion fixés à son corps.

Les toucher réellement le bouleversa. Il se figea dans une immobilité totale. Parce que… c’était ridicule !

Parce que… il n’avait toujours aucun souvenir pouvant expliquer ce qui lui était arrivé.

Délibérément, il raidit ses muscles, cala ses mains et ses bras contre la couche matelassée sur laquelle il était étendu puis, prenant appui dessus, il s’assit.

Ou plutôt, il essaya de s’asseoir. Sa tête vint heurter un obstacle rembourré.

Très surpris, il se laissa retomber en arrière. Mais aussitôt, il en explora des doigts la surface. Le « plafond » de cette couche longue et étroite était composé d’une matière douce qui ressemblait à du tissu. Il se trouvait à moins de trente centimètres de lui. Les parois, de chaque côté ainsi qu’aux pieds et à la tête, étaient aussi rembourrées et à peu près à la même distance de son corps.

La situation n’était plus seulement ridicule. Ou incompréhensible. Elle n’avait aucun rapport avec tout ce qu’il avait vécu jusqu’ici.

Il découvrit que, jusqu’à cet instant même, il avait tenu pour certain qu’il était Gilbert Gosseyn en train de se réveiller après une nuit de sommeil.

De nouveau allongé et immobile, il pratiqua volontairement la pause cortico-thalamique recommandée par la Sémantique générale.

Car la partie corticale du cerveau, celle qui raisonne, est plus efficace dans une situation dangereuse que la partie thalamique, celle des réflexes émotionnels, qui ne peut que… réagir.

« Bon, pensa-t-il avec lassitude. Et ensuite ? »

Il prit conscience d’un autre fait. Lorsqu’il s’était réveillé, il avait tout de suite su qui il était.

Et cette connaissance – le fait qu’il soit Gilbert Gosseyn –, il l’avait trouvée si évidente qu’il l’avait aussitôt oubliée. Mais cette prise de conscience de soi n’était pas de moindre importance.

Tous les matins, chaque être humain se réveillait et savait qui il était. Mais dans ce cas particulier, c’était arrivé à quelqu’un qui n’était pas un être humain ordinaire. L’individu qui venait de se réveiller sur cette couche était un homme pourvu d’un cerveau second.

Et il s’était réveillé en se reconnaissant comme tel. Il se souvenait de ce qu’il avait fait : les distances incommensurables qu’il avait parcourues dans la galaxie, grâce aux facultés exceptionnelles de son cerveau second. Il n’avait pas oublié les événements fantastiques auxquels il avait participé, dont la destruction du Disciple ; et, fait plus important, le sauvetage de Vénus, la planète non-aristotélicienne, investie par les forces interstellaires d’Enro le Rouge.

Il avait rencontré des gens appelés Eldred et Patricia Crang, Leej la prédictrice et…

Une pause ! Pour écarter ces souvenirs. Ou plutôt pour en déduire qu’il n’y avait aucune relation évidente entre ces événements grandioses et ces ténèbres absolues.

« Comment suis-je arrivé ici ? »

Ce n’était pas une pensée angoissée mais une question intéressante… Manifestement, il n’avait pas la moindre raison d’avoir peur ou de se sentir anxieux. Après tout, à n’importe quel moment, il pouvait similariser l’un des nombreux secteurs qu’il avait mémorisés : la surface d’une planète, le plancher d’une pièce ou un emplacement à bord d’un véhicule spatial. Et quitter cette couche étroite, cet endroit confiné.

L’ennui, c’était que s’il s’en allait, il ne saurait jamais ce qu’il faisait ici et où était cet ici.

Ces réflexions l’amenaient donc à exécuter le même projet : examiner cet environnement totalement absurde.

Alors Gosseyn leva de nouveau les bras. Cette fois-ci, lorsqu’il reprit contact avec le plafond rembourré, si proche, il s’arc-bouta et poussa de toutes ses forces.

Il découvrit rapidement un autre élément de la situation. La partie matelassée avait une épaisseur d’environ cinq centimètres. Elle était molle et céda sous sa pression. Mais au-delà, il sentit un matériau aussi dur que le métal.

Toujours en position allongée, il poussa encore un peu, mais de toutes ses forces. Le plafond ne céda pas. Après avoir fait de même contre les parois des côtés et celles de la tête et des pieds, et cela en pure perte, Gosseyn s’estima convaincu. Il n’éprouvait pas la moindre frayeur.

Que faire d’autre dans un endroit comme celui-ci ? Ce serait vraiment dommage d’en repartir sans avoir rien appris. Cependant l’information accessible paraissait tellement limitée qu’il ne lui restait plus qu’une seule reconnaissance à effectuer.

… Tous ces tubes de caoutchouc qui étaient rattachés à son corps : que lui apportaient-ils ?

Plus important encore : qu’arriverait-il si son cerveau second le transportait brusquement ailleurs à la vitesse d’une similarisation à vingt décimales ?

Voilà qui était réellement inquiétant : qu’arriverait-il à la substance, quelle qu’elle soit, que ces tubes transmettaient à son corps ? Ou s’il les arrachait, pensa-t-il un peu tardivement, que se passerait-il ?

Plusieurs dizaines de secondes s’écoulèrent tandis que Gosseyn étudiait ces différentes hypothèses. Pour finir, il décida qu’elles étaient dépourvues d’intérêt. Parce qu’une fois parti d’ici, il n’avait besoin d’aucun appareillage. Toutes les zones mémorisées pour une similarisation à vingt décimales – qui lui permettait, lorsque c’était nécessaire, de voyager sur de longues distances – étaient situées dans un environnement relativement sûr pour une forme de vie respirant de l’oxygène.

L’idée lui vint alors que l’analyse qu’il venait d’effectuer ressemblait fort à une décision de partir. Presque… pas tout à fait !

… Parce que quelque chose lui était arrivé qui l’avait enfermé dans cette prison. Il fallait que cette chose soit pourvue d’un pouvoir presque magique pour arriver à capturer Gilbert Gosseyn, l’homme au cerveau second…

Oui, elle s’était emparée de lui ! Et – pire encore – le prisonnier ne savait même pas quand ni comment cela s’était produit… « Il faut que j’attende. Et que je découvre qui, ou quoi, possède cette puissance magique. » Car, bien qu’il ait triomphé cette fois-ci, cet être pourrait, en une autre occasion, décider de ne pas prendre de risque.

Gosseyn se détendit et abandonna son corps au repos. Mais une autre idée surgit dans son esprit.

Il devait forcément exister un mécanisme qui permettait d’ouvrir la boîte où il était enfermé. Elle ressemblait, par certains aspects, à un cercueil. Mais pas vraiment. On ne fabriquait pas de cercueil métallique aussi résistant que le revêtement qu’il avait senti au travers du rembourrage. Un homme enterré vivant ne pourrait pas ouvrir de force le couvercle de son cercueil ; la terre elle-même suffirait largement à l’en empêcher. Donc, un cercueil n’aurait pas offert cette résistance qui ne pouvait provenir que d’un métal dur comme l’acier. D’ailleurs, le couvercle d’un cercueil pourrait s’entrouvrir, même s’il était enfermé dans une autre boîte. Surtout celui d’un cercueil particulièrement luxueux comme celui-ci.

Il écarta donc rapidement cette hypothèse, parce que s’il s’agissait d’un cercueil, il n’aurait aucune difficulté à en sortir. Un ou deux mètres de terre tassée sur la boîte ne constitueraient pas un obstacle pour une similarisation à vingt décimales.

Gosseyn secoua la tête en se réprimandant. Cette idée dénuée de sens était indigne de lui. Les gens qui reposaient dans un cercueil n’avaient pas de petits tubes en caoutchouc plantés dans le corps.

C’est alors qu’une pensée qui n’avait rien à voir avec les précédentes s’imposa à lui. Elle était ainsi formulée : « C’est Gilbert Gosseyn. J’ai dû avoir un passage à vide. Que s’est-il passé ? »

Plusieurs voix répondirent. Ce qu’il y avait d’étrange, c’était que ces pensées paraissaient provenir d’autres personnes et que pourtant il les recevait comme s’il s’était agi des siennes propres.

— On dirait que Leej a mal réagi, elle aussi.

Ces paroles semblaient avoir été émises par Eldred Crang.

— J’ai l’impression que quelque chose de très important est arrivé, mais je ne sais pas quoi.

C’était une remarque de John Prescott.

Crang ajouta :

— Patricia, ma chérie, fais entrer le médecin. Heureusement que nous avions prévu une assistance médicale.

— Oui… (c’était de nouveau la première voix)… appelez le médecin. Mais avant que nos premières impressions ne s’effacent, laissez-moi vous dire que, pour le moment, j’ai le sentiment qu’il y a deux Gilbert Gosseyn. (Un moment de silence…) Est-ce que l’un de vous éprouve quelque chose de semblable ?

Une autre pensée, en provenance (semblait-il) d’Eldred Crang :

— Oh ! Leej revient à elle. Leej ! Leej ! qu’est-ce que vous ressentez ? Avez-vous une prédiction à nous transmettre ?

La voix qui répondit paraissait venir de plus loin.

— Quelque chose est arrivé. Quelque chose d’absolument colossal. Nous n’avons pas vraiment échoué… j’en ai l’étrange certitude. Mais… ce n’est pas du domaine de la prédiction. Cet événement s’est déjà produit, quoi que ce soit. Je… euh… je ne vois rien dans le futur.

— Reste allongée, ma chérie.

La voix de Patricia semblait, elle aussi, lui parvenir par l’intermédiaire d’un autre esprit.

— Laisse le médecin t’examiner.

Gilbert Gosseyn, couché dans les ténèbres absolues de quelque chose qui ressemblait à un tombeau mais n’en était pas un, éprouva durant un instant l’étrange impression d’avoir l’esprit dérangé.

« Maintenant, je me souviens, pensa-t-il avec inquiétude, que nous nous préparions à sauter dans une autre galaxie, mais… »

Tandis qu’il butait sur l’imprécision de ce « mais », une voix d’homme lui parvint, cette fois normalement, par l’entremise de ses oreilles.

— Il y a, dans le tracé de ses ondes cérébrales, une distorsion que je n’arrive pas à identifier. Elle n’est pas en relation avec une source d’énergie, aussi ne peut-il l’utiliser contre nous par surprise. Que faisons-nous maintenant ?

C’était une question qui pouvait aussi bien s’appliquer à Gosseyn qu’à celui qui venait de parler. Le temps était venu d’effectuer une autre pause cortico-thalamique.

Il remarqua qu’il se sentait plus optimiste. Pourtant le silence était retombé et l’obscurité où il était plongé semblait aussi impénétrable qu’avant. Il était toujours étendu sur sa couche et il sentait toujours son corps nu relié à de nombreux tuyaux en caoutchouc.

Mais il se répéta mentalement les paroles qu’il venait d’entendre et en déduisit qu’il était observé par quelqu’un qui parlait le français, l’une des langues de la Terre.

À partir de ce qui venait d’être dit, il élabora un modèle simple des conditions extérieures. « Je suppose que je suis à l’intérieur d’une boîte métallique présentant à peu près la forme d’un cercueil. Cette boîte est posée sur la table d’examen d’un laboratoire. Et des appareils électroniques me sondent, qui doivent ressembler à des rayons X ou à certains types d’émetteurs de particules. Quel que soit l’être qui mène cette observation, il ne sait pas que je suis Gilbert Gosseyn, car dans sa brève analyse il a parlé de moi sur le mode impersonnel ; et bien qu’il ait fait preuve d’une intelligence exceptionnellement subtile – il a détecté mon cerveau second –, ce chercheur ne semble pas connaître mon identité… Par conséquent, il doit s’agir d’un étranger qui n’a rien à voir avec ce que Gilbert Gosseyn a vécu dans l’univers extérieur. »

Il aurait encore, probablement, l’occasion de faire d’autres observations utiles ; et tout ce qui lui restait à faire, c’était d’attendre encore dans l’espoir d’obtenir quelque information intéressante. Il fallait qu’il sache ce qui s’était passé et ce qui se passait en ce moment.

Il n’eut pas besoin de patienter longtemps, car une voix plus grave – de baryton – intervint, toujours en français.

— Dites-moi dans quelles circonstances exactes vous avez été amenés à introduire cet être à bord.

Une autre voix répondit poliment.

— Nous avons détecté une capsule qui flottait dans l’espace. Nos rayons espions nous ont révélé qu’il y avait à l’intérieur un humain de sexe masculin qui semblait endormi ou inconscient. Nous l’avons amené à bord, et une étude plus approfondie nous a révélé qu’il était dans un état d’animation suspendue qui laissait son cerveau réceptif à toute une gamme de signaux d’arrivées. Nous n’avons pas réussi à déterminer la nature exacte de ces signaux. Mais il semble être le destinataire des pensées d’un alter ego qui mène une vie active normale à de nombreuses années-lumière d’ici.

Un autre long moment de silence. Puis la deuxième voix reprit :

— Peut-être avait-il besoin d’être maintenu sous tension. Aussi l’ont-ils isolé, tel que nous le voyons… tout en le gardant conscient.

— Par quel moyen ?

— Nous allons consulter notre département de biologie.

Une autre voix calme et déterminée s’éleva, nettement empreinte d’une autorité supérieure.

— C’est moi le responsable de cette expérience. Et si nous voulons prendre une décision, les mesures de prudence ne suffiront pas. La situation est grave. Nous ne savons pas où nous sommes ni comment nous sommes arrivés ici. Sortons-le de sa capsule. Elle comporte peut-être un équipement qui fonctionne en sa faveur en cas de danger. Aussi vaut-il mieux l’éloigner de la zone où il pourrait recevoir de l’aide.

Gilbert Gosseyn estima que cette évaluation des faits était fort inexacte. Car ce dont il avait le plus besoin, c’était justement de sortir de cette prison trop étroite. Il pourrait alors voir à quoi ressemblaient les êtres qui l’avaient capturé, et peut-être même découvrir leur identité.

D’autres idées, encore vagues s’élevèrent dans son esprit. Il commença à analyser les paroles qui venaient de décrire le lieu où ces gens l’avaient trouvé : une capsule flottant dans l’espace. Ce fait posait autant de questions qu’il en résolvait. Mais il valait mieux ne pas penser à cela pour le moment.

Car il éprouvait une sensation de mouvement. Qui semblait s’effectuer dans la direction à laquelle il faisait face. Il toucha le revêtement rembourré et son doute disparut car le « plafond » se déplaçait bien vers ses pieds, mais très lentement.

Ce fait éveilla en lui l’image mentale d’un conteneur renfermant une couche mobile. C’était normal que des êtres capables de voir à l’intérieur d’un cerveau humain puissent, à l’aide de leurs instruments, découvrir le mécanisme qui permettait d’ouvrir sa capsule.

Gosseyn s’attendit à ce que, d’un instant à l’autre, la partie antérieure de la capsule se rabatte ou se relève, et que la lumière de la pièce où il devait être l’éblouisse. Il se prépara donc à affronter une luminosité d’autant plus intense qu’il était plongé dans l’obscurité.

Mais tout simplement le mouvement cessa. Un air frais vint lui caresser le visage, puis enveloppa tout son corps. À un autre niveau de perception, il décela un infime changement de la température, qui devint plus froide.

Ce qui lui fit supposer que sa tête et son corps venaient d’émerger dans une pièce aussi obscure que sa prison.

… Ils ne laissaient vraiment rien au hasard !

Plus intéressant était le fait que, sans les tuyaux en caoutchouc auxquels il était relié, il aurait, maintenant, pu se lever.

Mais il décida de n’en rien faire.

Le souvenir de ce qu’il avait entendu le retint d’effectuer tout mouvement rapide. Ce qu’il se rappelait des antécédents des différents Gilbert Gosseyn lui paraissait applicable à l’image, évoquée par ces êtres, du corps d’un homme enfermé dans une capsule flottant dans l’espace. Cela signifiait également qu’il était à bord d’un vaisseau spatial. Son équipage avait dû détecter la présence de l’épave et l’avait capturée.

« C’est fantastique… je dois être un autre corps de Gilbert Gosseyn réveillé avant que le précédent ne soit mort. »

Gosseyn Un était arrivé dans la Cité de la Machine des Jeux, sur Terre, pourvu de faux souvenirs concernant l’endroit d’où il venait. Après avoir été tué par un agent de la force d’invasion interstellaire, il s’était soudain retrouvé sur Vénus, en croyant être le même Gosseyn. Ce Gosseyn Deux avait vaincu l’armée du Plus Grand Empire et était ensuite parti pour Gorgzid, la planète d’origine des envahisseurs.

Il était toujours là-bas, très loin dans l’espace ; et c’était lui, l’alter ego auquel avait fait allusion la troisième voix. Et en ce moment – s’il pouvait exister des moments similaires à une telle distance l’un de l’autre –, Gosseyn Deux se remettait d’une tentative effectuée avec d’autres personnes pour « sauter » jusqu’à une galaxie d’où, croyaient-ils, la race humaine serait arrivée il y a des dizaines ou des centaines de milliers d’années.

Gosseyn Trois, étendu dans les ténèbres absolues d’un lieu qui, pensait-il, devait être situé à bord d’un véhicule spatial, cessa de se remémorer le passé des corps de Gilbert Gosseyn et s’adressa mentalement à cet alter ego.

— Mon analyse est correcte, Gosseyn Deux ?

La réponse lui parvint instantanément.

— Nous pourrions discuter au sujet du nombre. Je croyais que les corps de Gosseyn tenus en réserve étaient âgés de dix-huit ans. Tu sembles appartenir à la même génération que moi. Tu es donc le troisième à émerger de l’état d’animation suspendue.

— D’accord, je suis Gosseyn Trois et tu es Gosseyn Deux. Eh bien, Deux, voilà ma question : crois-tu que je puisse me tirer de cette situation bien que je n’aie repris conscience que depuis peu de temps ?

— Tu es aussi bien équipé que moi, et de plus tu vas me transmettre tout ce qui se passera.

— J’ai l’impression que tu es très loin de moi et que tu ne peux guère me venir en aide.

— Aussitôt que cela te sera possible, mémorise une image mentale, à vingt décimales de similitude, d’une portion du plancher ; et en cas d’urgence… qui sait ?

— Penses-tu que ce soit raisonnable que nous nous retrouvions tous les deux dans un endroit où nous pourrions être tués en même temps ?

— Ce ne serait pas raisonnable du tout.

— Pourquoi crois-tu qu’ils me gardent dans cette obscurité ?

— Il y a deux réponses possibles. Premièrement, ils sont seulement excessivement prudents. Deuxièmement, leur gouvernement est une autocratie. Dans un système social de ce type, tous les subordonnés doivent se protéger des critiques ultérieures en se gardant bien de prendre des risques. La troisième voix semblait être celle d’un personnage puissant, mais même lui souhaite sans doute pouvoir rappeler plus tard qu’il n’a procédé qu’avec circonspection. Et dans ce cas, tu vas bientôt entendre une quatrième voix, pourvue d’une plus grande autorité, qui va elle aussi prendre ses précautions.

— Et toi, qu’est-ce que tu vas faire ?

— Nous avions l’intention de préparer un second saut puisque le premier a, semble-t-il, échoué. Mais ce qui t’est arrivé complique les choses. Aussi avons-nous décidé d’attendre jusqu’à ce que nous en sachions plus à ton sujet.

Gosseyn Trois, couché dans l’obscurité, demeura silencieux puis reprit :

— Bien sûr, le plus simple pour moi serait de te rejoindre là-bas et de t’aider à…

Il fut interrompu par un non catégorique.

— D’accord, reconnut-il. Je comprends tes arguments. Il faut que je reste ici. Nous ne savons pas combien il reste de Gosseyn endormis de la même génération que nous ; et nous ne sommes pas certains qu’il existe plusieurs corps de Gilbert Gosseyn âgés de dix-huit ans.

Il fit une autre pause.

— Peu importe. Je ferais mieux de me concentrer sur ma situation. Elle a l’air coriace.

— Elle l’est sûrement, pensa Gosseyn Deux dans le lointain. Bonne chance.

La fin du Non-A
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